Concert de midi de la ville de Liège

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L'histoire des mille premiers concerts (1949 - 1997) par Maurice Barthélémy

UNE HISTOIRE ET MILLE CONCERTS Maurice BARTHÉLÉMY avec la collaboration de Madeleine TYSSENS et de Philippe GILSON Mille concerts déjà. À première vue, ce chiffre, à notre époque de surenchères, n'a pas un grand pouvoir d'évocation. Alors, si nous disons quarante-huit ans de concerts, du coup, nous commençons à mieux cerner une réalité concrète. UNE ORIGINE LOINTAINE L'origine des « Concerts de midi » est directement liée à des circonstances nées de la dernière guerre. Tout le monde sait que les Allemands avaient entamé, dès août 1940, une puissante offensive aérienne contre l'Angleterre, Londres en particulier. Ces attaques se faisaient de jour et entraînaient des pertes à ce point considérables dans leurs rangs que les Allemands ont revu leur programme. De jour, les attaques devinrent de nui t. Le soir, les Londoniens étaient donc bouclés chez eux : plus de cinémas, de spectacles, de concerts. C'est alors que beaucoup d'artistes réagirent et proposèrent de faire des concerts à midi. Et parmi ces artistes, il y avait des Belges et même un de nos compatriotes, le violoniste Maurice Raskin. Il forma, avec des compatriotes, un quatuor à clavier sous l'intitulé de « Quatuor de Londres » que l'on applaudira à Liège aux « Concerts de midi ». Il s'agissait dans l'esprit des promoteurs d'offrir chaque semaine, à l" « heure de table », un programme de qualité à un public étudiants, employés - qui pour des raisons diverses, avant tout matérielles - ne prenait pas d'ordinaire le chemin des grands concerts du soir ou celui des musées. LES « CONCERTS DE MIDI » EN BELGIQUE Revenu en Belgique, Raskin parla de son expérience londonienne à son ministère et, surtout, à un fonctionnaire qui a laissé des souvenirs durables auprès des musiciens : Sara Huysmans. C'est à elle que l'on doit la création des « Concerts de midi » en Belgique. Elle décida de leur implantation : le Musée d'Art ancien à Bruxelles, de la délimitation du répertoire : la musique belge avant tout, et du recrutement : uniquement des artistes belges. Les artistes recevaient un cachet minime augmenté de la recette des entrées. L’entreprise fut tout de suite bien accueillie, sauf par le Conservateur en chef du Musée, et elle attirait beaucoup de monde. De plus, ne négligeant aucun détail, Sara Huysmans avait mis à la tête de l'entreprise un de ses protégés, l'Inspecteur de l'Enseignement musical pour les pays flamands, Jean Louel. LES « CONCERTS DE MIDI » À LIÈGE : LOUIS POULET À Liège, les « Concerts de midi » ont commencé le mercredi 5 octobre 1949. La première saison a compté 31 concerts (la pointe maximum a été de 36 concerts en 1953-1954) pour revenir à 22 concerts en 1958-1959. C'est Louis Poulet (1912-1980) qui sera l'organisateur de ces dix saisons. L’Echevin des Beaux-Arts, Paul Renotte, sculpteur et professeur à l'Académie des Beaux-Arts, l'avait choisi pour remplir ce rôle. Louis Poulet reçut une aide financière de la Ville de Liège, et la disposition d'une salle, qui fut la salle dite « des plâtres » de l'Académie des Beaux-Arts, occupée à l'époque par le Musée qui portait le même nom. Le Conservateur, Jules Bosmant, était un adepte fervent et il fut, dès lors, un hôte accueillant et efficace. En dépit d'un accès incommode, les concerts connurent d'emblée un très vif succès, qui ne faiblit pas au cours des saisons suivantes. Au plaisir d'entendre des œuvres connues et aimées qui manquaient à leurs maigres discothèques, au plaisir de découvrir des œuvres peu ou mal connues, s'ajoutait, pour les auditeurs, la rencontre hebdomadaire des riches collections de tableaux du Musée. Les plus fameux sont aujourd'hui au Musée d'Art moderne : cette longue familiarité les leur faisait connaître et comprendre mieux que ne l'aurait fait sans doute un commentaire technique ou esthétique. Louis Poulet put compter dès le départ sur l'adhésion active des milieux musicaux liégeois ou belges ; c'est ainsi qu'on relève, au fil de la première saison, la participation de l’ « Orchestre de chambre de Liège » (trois concerts, dirigés par Fernand Quinet, Hector Clokers et Charles Bartsch), celle du « Quatuor Pro Nova », du « Quatuor de saxophones », du « Quatuor Beck », de Naum Sluszny, Charles Bartsch, Carlo Van Neste, Germaine Gérin,. Frédéric Anspach, celle, encore très modeste, de la « Chorale universitaire ». Mais on y trouve aussi le « Trio luxembourgeois », le « Trio tchécoslovaque », le baryton français Gérard Souzay et le pianiste suisse Henri Datyner. Par la force des choses, la musique de chambre instrumentale (récital, trio, quatuor...) et vocale (lieder ou mélodies) sont, dès ce moment, privilégiés. Louis Poulet, altiste, s'associe avec Henri et Emmanuel Koch, violonistes, et Charles Bartsch, violoncelliste, pour fonder le « Quatuor des Concerts de! Midi », reconnu l'année suivante par la Ville de Liège comme « Quatuor municipal ». Ce groupe, où Feldbusch relaiera bientôt Bartsch, assumera, seul ou en formations diverses (trio, quintette), quelques-uns des concerts de chaque saison. Très tôt, à partir de 1950, il répondra à l'attente d'une partie du public en lui offrant les « Concerts du dimanche matin ». Il sera aussi le plus ferme soutien de Louis Poulet dans l'entreprise ambitieuse que fut le « Concours international de Quatuor à cordes », qui, de 1951 à 1971, fut consacré alternativement à la composition, à l'exécution et à la lutherie, et qui couronna entre autres le « Quatuor Parrenin », la compositrice polonaise Grazyna Bacewicz et le luthier français Jean Bauer. Cette floraison de l'expression « chambriste » favorisera la naissance d'un deuxième groupe, le « Quatuor Grétry » (Emmanuel Koch, violon, Paul Lambert, alto, Eric Feldbusch, violoncelle, et Monique Pichon, piano), dès lors souvent sollicité lui aussi. Le désir de répandre la bonne parole musicale entraîna des décentralisations, comme celle des Concerts au Sanatorium d'Eupen, ou celle, éphémère à vrai dire, des « Concerts Grétry » en Outre-Meuse. On signalera, pour être complet, quelques séances de midi de la poésie ou du cinéma. On ne saurait rappeler dans le détail les 271 concerts de ces dix saisons, mais on peut du moins les évoquer à grands traits. Les limites budgétaires imposées aux organisateurs de tels concerts font qu'au critère de qualité professionnelle s'ajoutent nécessairement, dans le choix des interprètes, des critères de connivence personnelle, voire d'amitié. Quand la confiance et l'adhésion du public vient, après un concert, confirmer celles des organisateurs, ceux-ci engagent les artistes pour d'autres concerts, et ce n'est pas là seulement une pratique de facilité routinière : la reconnaissance (dans les deux sens du terme) est aussi un facteur de la réceptivité du public. Ainsi, certains des artistes, cités plus haut, qui occupèrent la première saison, se retrouveront-ils régulièrement dans les programmes des années suivantes. Mais il faut en ajouter bien d'autres, fréquemment invités eux aussi : le talentueux duo Guy et Monique Fallot (violoncelle et piano), Narciso Yepes, Yvon le Marc'Hadour, le « Quatuor belge de Londres », la Chorale protestante de Fritz Hoyois, le violoniste Henry Lewkowicz, le « Wienersrreich-trio », le « Rheinische Kammerorchester Koln », la « Chorale universitaire ». À diverses reprises, les membres du « Quatuor municipal » et du « Quatuor Grétry » se produisirent aussi en solistes. Plus occasionnelles, mais fort appréciées, les prestations du « Quatuor vocal Kebroff », de Pierre Fournier, de Georges Octors, du « Quatuor Vlak »', d'Alfons et Aloys Kontarsky, d'Adam Haraciewicz, ou de l'impressionnante « Chorale universitaire d'Uppsala ». Louis Poulet voulut aussi donner à de récents diplômés des Conservatoires ou aux futurs concurrents du « Concours Reine Elisabeth » l'occasion de se faire connaître et d'affronter le public. Dans les programmes de ces « Concerts de jeunes », le mélomane d'aujourd'hui pointe en souriant les noms d'un violoncelliste, Edmond Baert, et celui d'un pianiste, un certain Pierre Bartholomée... Une telle palette d'interprètes donnait aux programmes une diversité de bon aloi. Certes, les périodes préclassique, classique et romantique s'y taillent une large part. Mais on y trouve aussi, en bonne place, un répertoire plus récent, voire contemporain : Absil, Albeniz, Bacewicz., Bartók, Bridge, Caplet, Chostakovitch, de Falla, Debussy, Driessen, Duparc, Fauré, Françaix, Franck, Froidebise, Granados, Hindemith, Honegger, Janacek, Jongen, Martinu, Milhaud, Moussorgski, Pierné, Poulenc, Prokofiev, Quinet, Ravel, Roussel, Schönberg, Stravinsky. Dans ce foisonnement, on distingue quelques « cycles », qui manifestent le souci de guider l'écoute d'une main légère : c'est ainsi que la saison 1952-1953 est organisée en cycles de musique préclassique, classique, romantique et contemporaine ; que la saison 1954-1955 met au programme trois séances de sonates et partitas pour violon seul de Bach, par Henry Lewkowicz, deux séances de sonates pour violoncelle et piano de Beethoven par le duo Fallot, trois séances de Lieder (Beethoven, Schumann, Schubert dont l'inoubliable Winterreise), par Frédéric Anspach ; que le « Quatuor municipal » offrit deux fois le cycle complet des quatuors de Beethoven ; qu'en 1957-1958 les « Concerts du dimanche matin » furent exclusivement consacrés à Beethoven (quatuors, trios à cordes et à clavier, sonates). L’activité intense de Louis Poulet, et de tous ceux qui l'ont secondé dans l'ombre au cours de ces dix années, a rassemblé un public nombreux et fervent, désormais plus attentif aux œuvres proposées qu'au prestige d'une vedette. D'autre part, les musiciens liégeois ont découvert la possibilité de faire de la musique de chambre en concert, et non plus pour leur seul plaisir personnel, et d'autres ensembles se formeront, que le public rencontrera au fil des années suivantes. MAURICE BARTHÉLÉMY C'est ainsi que nous arrivons à la fin de l'année 1959 et au lendemain des grèves de 1960, rien n'était facile. Louis Poulet présenta à la Ville de Liège désormais gouvernée par une coalition libérale-catholique la démission de toutes ses activités artistiques y compris de la direction de son « Concours de Quatuors » qu'en fin de compte il a gardée. Pour les « Concerts de midi », la situation était difficile. J’allai voir Sara Huysmans qui m'expliqua son point de vue. Je lui exposai le mien et un accord s'en dégagea. En fait, elle me fit confiance pour renouveler complètement l'organisation des concerts. Je ne manquai d'ailleurs ni de conseils ni de concours. J'avais des offres de service de tous côtés. Les « Concerts de midi » de Bruxelles se proposaient de collaborer avec moi. La radio reprit en différé tous les concerts. Le Conservatoire de Liège offrit également son concours. J'avais un gros capita artistique à ma disposition que je me gardai bien de gaspiller trop vite. J’allai voir la salle « des plâtres » de l'Académie. Le lieu me parut difficile d'accès et le flux de la circulation risquait de transformer les auditeurs en nature morte avant même leur entrée au musée. La salle était une verrière qui me parut pleine de résonances parasites, ornée de tableaux dont un, qui garnissait le fond de la scène (La Promenade à Saint-Cloud d'Evenepœl) était un réel chef-d'œuvre. Le piano datait de 1915 (Louis Poulet en louait un autre), l'estrade était trop petite et, comblant le tout, j'héritai de quatre cents chaises dont j'étais l'unique responsable, presque propriétaire. J’ai obtenu assez facilement l'agrandissement de la scène, très difficilement l'achat d'un nouveau piano et sans problème l'achat de pupitres et de tout un petit matériel nécessaire à la bonne organisation d'un concert. Je changeais l'organisation du restaurant en cherchant une catégorie supérieure. Toute la fin de l'année 1959 a été occupée par ces soins, mais déjà, à ce moment, j'étais décidé à quitter le musée et à installer les « Concerts de midi » ailleurs. En attendant, il fallait assurer la deuxième partie de la saison, de janvier à Pâques. Je n'y fis rien de nouveau. Pour la dernière fois, on entendit l’« Orchestre de chambre de Cologne » dont je modifiai le programme en lui faisant jouer La Nuit transfigurée de Schönberg. Je fis la même chose avec Fritz Hoyois et sa chorale qui présenta des chœurs de Carl Orff. Le public n'adhéra pas immédiatement. Peut-être venait-il chercher une orientation « culturelle » que personne n'a jamais trouvée chez moi. Peu à peu un public nouveau viendra fréquenter régulièrement les concerts. La saison 1960--1961 a été marquée par sa nouveauté et son originalité. A part trois concerts où l'on voyait encore des figures anciennes, tout le programme fut assuré par des artistes nouveaux. D'abord, la collaboration avec les « Concerts de midi de Bruxelles » fonctionna bien et avec des artistes liégeois. Ensuite, j'obtins le concours de l’« Orchestre de Liège » en pleine rénovation. Il était prévu, en effet, que je pourrais disposer des groupes isolés de cet orchestre (ensemble des vents, des cordes ou un mélange des deux) que j'aurais à les diriger vers un répertoire de mon choix destiné à perfectionner le jeu des musiciens. Je pouvais compter sur trois chefs d'orchestre : Charles Bartsch, Eric Feldbusch et Julien Ghyoros. Des trois, seul le deuxième a émergé et est devenu un véritable collaborateur et un vrai compagnon. C'est la saison où j'ai pu donner, en création, l’Octuor de Stravinski, l'un des chefs-d'œuvre du compositeur, le Choral, Marche et Galop, la première et peut-être la meilleure œuvre d'André Souris et où j'ai mis au point, avec soin, un merveilleux concert avec des œuvres vocales de Manuel de Falla et les Priaboutki de Stravinski. Dans un tout autre sens, j'agrandis le champ d'action des concerts en abordant le domaine dit baroque. Comme musicologue, j'étais au courant des travaux récents en la matière. Je fis appel à un autre musicologue, Roger Cotte, un français qui devint plus tard, professeur en Amérique, et qui fit une belle démonstration en jouant des œuvres inconnues, originales, de ce qu'on faisait alors de mieux dans ce domaine. Ce concert eut lieu, malheureusement, toutes portes fermées, au plus chaud des grèves, mais dans une atmosphère glaciale, les chauffagistes de la Ville de Liège ne travaillant plus. Quand on parle aujourd'hui de piano ancien, on pense à Andreas Staier ; à l'époque, en Allemagne, il y avait Li Stadelmann qui fit un joli récital consacré à la musique de la fin du XVIIIe siècle sur un instrument ancien. Je m'étais permis aussi trois « coups » étonnants. Le premier avec Fernand Quinet. Avec l’« Orchestre de Liège » et Renée Defraiteur, il donna une merveilleuse version des Illuminations de Britten. Le deuxième avec Lola Bobesco et Jacques Genty, qui n'étaient jamais venus à Liège. Comme ils avaient réalisé une émission pour la télévision la veille du concert, il y eut foule. Le troisième, enfin, avec Frédéric Anspach qui m'avait confié qu'il préparait depuis longtemps les Romances de Maguelonne de Brahms. C'était original, nouveau, et d'un niveau musical supérieur. C'est aux « Concerts de Midi » de Liège qu'il l'a chanté pour la première fois et ce fut un succès. À L’ÉMULATION J'étais décidé à quitter la salle « des plâtres » de l'Académie. Cette salle appartenait à l'Académie ; elle avait été prêtée au musée. L’Académie manifesta son désir de récupérer son bien. Je soutins de toutes mes forces son directeur dans ses prétentions, faisant valoir que les concerts de toute façon seraient mieux installés à l’Emulation. Évidemment, la salle contenait 650 places et était notoirement difficile à remplir. Je m'engageais à avoir une bonne fréquentation et l'ai obtenue facilement grâce à la facilité d'accès de cette salle. D’après des études qui ont été faites un peu plus tard, il s'agissait surtout d'une clientèle dite des « beaux quartiers », d'étudiants en médecine ou de la faculté de droit, d'élèves de l'Ecole normale ou de l'Athénée qui eux aussi se «fidélisaient". J'en ai connu qui n'auraient raté leur concert pour rien au monde. Je rencontre aujourd'hui beaucoup de mélomanes qui me confirment le plaisir qu'ils ont gardé de leur première initiation. Les autres qui croyaient pouvoir chahuter ont été écartés pour toute la durée de leurs études. Ces clients étaient souvent très jeunes. Je me souviens de cette auditrice de Manhay qui venait faire des commissions à Liège tous les jeudis et qui amenait ses enfants au concert. Ils étaient d'une sagesse exemplaire ainsi que les enfants de cet industriel liégeois qui offrait des places selon les résultats des bulletins scolaires. Assister au concert de midi (à 5 francs l'entrée !) était devenu une récompense. Je sollicitais d'ailleurs les avis de ces jeunes (la Ville de Liège a même imaginé un concours) et ils ne se sont pas doutés qu'ils m'aidaient beaucoup. Mais j'avais mes plans et je les menai de main ferme. En plus de tous les concours dont je disposais sur place, j'avais reçu les offres d'un impresario, Jacques Mauroy, qui disposait d'un large éventail d'artistes de qualité allant de la vedette la plus célèbre au jeune espoir promis à une grande carrière, ce qui fut souvent le cas. Cet impresario était aussi musicien et possédait un jugement très sûr. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, et facilement car il avait entrevu le but que je voulais atteindre et y adhérait. J'ai toujours manifesté, je crois en tout temps, un goût profond pour les expressions artistiques de mon époque. J'ai donc proposé au public beaucoup de musique moderne. C'est ainsi que le premier concert de midi à !'Émulation a été consacré à la première en Belgique de la Sonate pour piano de Dutilleux, œuvre qui devint vite célèbre par la suite. Il y eut peu après un petit scandale avec la première du célèbre Concerto de chambre pour piano, violon et treize instruments à vent d'Alban Berg. C'était une collaboration entre Bruxelles et Liège à laquelle je répondis un peu plus tard par le Concerto de Chostakovitch pour trompette, piano et cordes. L’œuvre de Berg (qui date pourtant de 1925) a été reçue avec froideur ; elle est évidemment très dure, très austère, d'une difficulté irritante, mais c'est à mon sens une des œuvres les plus importantes de notre époque. Le Concerto de Chostakovitch passera en revanche très facilement en raison de ses cocasseries « à la russe ». A l'occasion de la première à Liège des Quatre Tempéraments d'Hindemith, l’« Orchestre de Liège » fut brillant. Il y eut d'autres créations ces années-là (Quatuor n°2 de Kodaly, Quatuor à clavier de R. Strauss, la belle et émouvante Sonate de Poulenc dédiée à Garcia Lorca). Il y eut des nouveautés, de nouvelles figures : la jeune pianiste Sonia Anschutz, l’« Orchestre de chambre de Munich » et son chef Stadlmair, le jeune « Trio de Bruxelles ». J'allais vers les jeunes et leur nouvelle manière d'interpréter le répertoire. Il y eut les débuts du flûtiste André Isselée. Il y eut aussi, pour la première fois, le Quatuor n° 4 de Bartók qui fut interprété par le célèbre « Quatuor Lœwenguth ». D'un autre côté, j'ai essayé d'éliminer du répertoire ancien, classique ou romantique, toutes les œuvres mineures ou faibles et j'ai continué à explorer le passé musical mais dans un esprit nouveau. Plusieurs problèmes me préoccupaient : celui de l'orchestre, de la musique ancienne et des récitals. Pour l'orchestre, la solution était simple : je réorientai provisoirement mes programmes dans une autre direction. On se souviendra peut-être de cette magnifique Histoire de la Nativité de Schutz (1962) avec un débutant : Jules Bastin et les chœurs de la Radio. L’œuvre ressemble à un vitrail avec ses couleurs vives et brutales ; elle fit une grande impression par ses accents directs et rudes nuancés parfois par un souffle chaud venu de Venise. Il y eut aussi la Symphonie concertante de Haydn où l'on entendit deux artistes qui allaient devenir directeurs des Conservatoire royaux. L’un d'entre eux était Éric Feldbusch. Comme nous étions à peu près du même âge, j'en fis un compagnon. Notre collaboration se traduira par des résultats magnifiques. J'en citerai quatre : les créations des Malheurs d'Orphée et du Service sacré de Darius Milhaud, la Quatorzième Symphonie de Chostakovitch et le Socrate d’Éric Satie. Il n'y avait aucune référence discographique pour ces œuvres. Les artistes, Pierre Mollet, Mathias Vogel, Micheline Graucher, devaient se livrer à un travail approfondi des partitions. Qui se souvient aujourd'hui de la profonde émotion des Malheurs d'Orphée qui fut si finement mise en valeur, de la Messe juive, la dernière œuvre de Darius Milhaud, qu'il a fallu étudier sur une photocopie du manuscrit original, cette œuvre sombre et austère pour laquelle Mathias Vogel était allé demander conseil auprès d'un rabbin ? Tous les détails comptaient. Tous les poèmes russes de la Quatorzième Symphonie de Chostakovitch ont été traduits, connus par cœur, toute la partition a été décryptée, morceau par morceau, pour mettre en valeur le refus douloureux du compositeur devant la dictature de l'URSS. Et Socrate ? Voilà bien l'œuvre la plus anti musicale qui soit. Ecrite pour les cordes dans un registre neutre d'après une traduction plate et scolaire de Platon, il fallut à Eric Feldbusch et à Pierre Mollet, qui s'étaient pris au jeu, une patience inouïe pour en tirer ce troublant poème sur la mort que l'on entendit. Moments uniques sans doute mais qui n'autorisent pas à en oublier d'autres où Feldbusch s'attaqua avec succès à des œuvres de Henze, Ginastera, Martinu, Stravinski et Webern. Il fut un temps relayé par Paul Strauss qui lui aussi présenta avec succès des œuvres de Webern, de son compatriote Copland, d'Ernst Bloch ou d'Honegger. Chose étrange : ce n'étaient plus les œuvres « classiques » qui retenaient l'attention du public, mais les œuvres modernes et pendant plusieurs saisons, j'ai vu percer un courant qui me faisait plaisir. Au contraire, du côté de la musique ancienne, j'avais l'impression de piétiner. J'avais tort. Il y eut un « Barock Ensemble » en Belgique, qui promettait, mais dont l'expérience tourna court. Et puis l’« Ensemble Alarius », alors à ses débuts, débarqua chez nous. Les Kuyken commençaient une carrière qui allait les conduire à la notoriété internationale. Ils sont revenus souvent pour nous révéler, dans un style correct, les œuvres de Lully, Couperin, Rameau et bien d'autres encore, qu'ils faisaient revivre grâce à leurs études et à un talent affirmé. Remontant le temps, le « Musica antiqua de Vienne », alors célèbre sous la direction de Clemencic, le « Musica antiqua de Paris » et d'autres venaient enfin nous révéler les trésors de la musique plus ancienne dans d'excellentes conditions. Les musicologues peuvent aujourd'hui disserter sur la part de vérité que contenaient leurs interprétations. A l'époque, ce furent des révélations. J’essayais sans trop de succès de m'attaquer au problème des récitals. Il sera toujours difficile, sinon impossible, de faire entendre à un pianiste qu'il aurait intérêt à faire des programmes qui aient de l'unité et de la cohérence. En réalité, il choisit un certain nombre de pièces pour mettre son habileté digitale en valeur. Le public lui donne raison et le pianiste se retranche derrière les goûts de celui-là. J'ai tout de même fait des efforts pour sortir des schémas banals. J'ai demandé à Sluszny d'interpréter des Sonates pour piano de Beethoven. En en regroupant quelques-unes intelligemment, on arrivait facilement à des concerts plus homogènes. Sluszny accepta en réalité, il en avait envie - et il donna des interprétations magistrales et presque hallucinées de deux ou trois des dernières sonates du maître de Bonn. J'eus beaucoup de chance avec une pianiste comme Sonia Anschutz qui combina des programmes intelligents et, surtout, avec une jeune pianiste française, Sylvie Mercier, qui jouissait d'une excellente formation générale. Une fois, elle avait réuni Debussy, Ravel et Granados dans un excellent voisinage. La seconde fois elle mit ensemble deux œuvres de Brahms qui se rejoignaient par l'esprit. Le succès fut considérable, dans la presse en particulier. Je n sais pourquoi il me vint à l'esprit d'organiser quelques cycles. J'en ai fait trois. Pour le premier, consacré aux Sonates pour violon et piano de Beethoven, je m'y pris le plus mal possible. J’avais choisi cinq violonistes. Tous évidemment prétendaient jouer la Sonate « A Kreutzer » ou « Le Printemps ». J'ai dû trancher et répartir moi-même la matière. À part Lola Bobesco et Maurice Raskin qui tirèrent habilement leur épingle du jeu, les autres artistes donnèrent des interprétations plus faibles. En fait, il faut confier un tel cycle à un seul violoniste (ce que je conseillerai à Philippe Gilson). En revanche, j'ai eu plus de chance avec les six Sonates pour violoncelle seul de J.-S. Bach jouées par France Springuel. Cette artiste jouissait déjà d'une solide réputation internationale et elle a donné de ces œuvres austères et compliquées, une exécution pleine de fraîcheur et de jeunesse, d'une technique sans faille, qui fut un véritable enchantement. Et puis, il y eut, souvenir majeur dans l'histoire des « Concerts de midi », l'intégrale des Quatuors de Bartók. J'avais choisi le « Quatuor Haydn », des Hongrois qui avaient fait leurs études à Budapest, dans ce conservatoire où, justement, l'ombre de Bartók flottait encore. Ces musiciens adhéraient à l'esprit de cette musique tout naturellement. Ils l'ont jouée avec une conviction profonde, une force persuasive, une perfection technique inégalée. Ces trois séances consacrées à ces quatuors ont été impressionnantes. C'était presque du Bartók à l'état brut et ce cycle, je le sais, a laissé un profond souvenir auprès de ceux qui l'ont suivi. UNE NOUVELLE ORIENTATION Vers 1970, les « Concerts de midi » ont subi des changements profonds. Je quittai une carrière à la Ville de Liège pour en embrasser une nouvelle à l'Etat et devenir le bibliothécaire du Conservatoire. En principe, j'aurais dû démissionner des « Concerts de midi » mais le Bourgmestre, les Echevins et le directeur du Conservatoire m'invitèrent à rester à la tête de l'entreprise. J'en profitai pour mettre des conditions à mon accord. Une loi avait été votée d'après laquelle les subventions ne seraient plus versées qu'à des associations sans but lucratif. La Ville y rechignait. Les « Concerts de midi » devinrent une a.s.b.l. de statut légal. Ce régime est toujours d'application. Cette opération, subitement, rendait la nouvelle association riche ce qui lui permettait d'engager un personnel suffisant pour assurer sa vie pratique. Jusqu'à présent, je m'étais occupé de tout sous le contrôle méticuleux des services financiers de la Ville. Désormais, j'étais libre, et je pouvais réellement gérer un budget, imposant ou non. Le « Concours de Quatuors » ayant disparu, l'Echevin Jean Lejeune garda les subventions prévues pour cette entreprise afin de nous aider à l'organisation de séries de concerts de quatuors à cordes qui seraient payées sur ces fonds. Il s'agissait, évidemment, d'engager ce qu'il y avait de mieux à l'époque. Autre bienfait : les accords culturels internationaux (hollandais et français), par l'intermédiaire des ambassades, me proposaient de sélectionner chaque année des groupes d'artistes. Là encore, il s'agissait de choisir le meilleur. Quatrième bien­fait : l'impresario avec lequel je travaillais eut l'idée de réunir quelques artistes belges et de les faire travailler selon un programme précis. Quand ce programme serait au point, l'impresario trouverait une série d'engagements. L’aventure de l’« Ensemble instrumental Brahms » pouvait commencer. D'importantes modifications découlèrent de tout cela. Il y eut d'abord tous les concerts de quatuors à cordes. Du « Quatuor Melos » au « Quatuor de Philadelphie » en passant par le « Gabrieli », le vieux « Quatuor hongrois », les jeunes « Quatuors Orford » et « Chilingirian », le « Quatuor d'Etat bulgare », le « Via Nova », l’« Orlando », le « Rosamonde », le « Jean Sibelius », les quatuors « Amati », « Smetana », « Talich » et je ne sais combien d'autres furent nos invités. Bien entendu, je ne pouvais demander à des ensembles d'une telle renommée de composer des programmes spécialement pour moi. Haydn, Mozart, Beethoven formaient Le fonds du répertoire mais les œuvres étaient jouées d'une telle manière qu'elles paraissaient toujours nouvelles. Il y eut toutefois des nouveautés : Franck, Chausson, Dutilleux, Gilbert Amy, Mendelssohn, Prokofiev, Schumann, Bartók bien sûr, Smetana, Schubert, Ligeti, Chostakovitch, Milhaud même et je ne sais combien d'autres donnèrent à ces concerts beaucoup d’animation. Ils sont devenus moins nombreux (3, parfois 4 concerts sur 20) parce que les subsides finirent par disparaître et, ensuite, parce que du côté des accords culturels internationaux, je ne pouvais apporter la réciprocité. Je confiai à l’« Orchestre de Liège » des tâches moins directement centrées sur la musique moderne. Certes, il y eut encore des créations : la Quatrième Symphonie de Hartmann, le Double Concerto de Martinu ou Le Bœuf sur le toit de Milhaud. J'orientai la formation vers des œuvres plus classiques rarement jouées de Boccherini, Kozeluch, Mica, Roman et pourquoi pas, de Haydn et de Mozart. Je rétablis ainsi un équilibre qui risquait de se rompre. En réalité, je commençais à me détourner un peu de l'orchestre pour modifier les programmes des récitals. De nouvelles figures sont apparues. Je vois Anne Piret, résolument préoccupée de musiques nouvelles et qui introduisit à nos concerts Boulez, Messiaen, Stockhausen. Je vois aussi le groupe talentueux du « Pentacle » qui s'engageait dans la musique de Kelemen, Ligeti, Jolivet avec une réussite incontestable. Ce sont aussi Dominique Cornil qui s'attaqua vaillamment à Prokofiev et à Martinu, Pascal Sigrist à Rachmaninov, Jo Alfidi qui fit connaître Samuel Barber et bien d'autres compositeurs américains. Noël Lee fit de même avec Ives. Mais il a fallu une violoniste américaine, Veda Reynolds, pour nous révéler la très belle Sonate de Huybrechts ! Pascal Sigrist et Carlo Chiarappa nous jouaient pour la première fois la Sonate de Ravel dans le mouvement qu'il fallait. Je n'en soignais pas moins les « baroqueux ». Le « Lamentabile Consort », l'ensemble « Polyphonies » (où l'on retrouve un moment les Kuyken) et le « Freiburger Bartók Ensemble » satisfaisaient largement notre attente en la matière. C'était amusant de voir ce monde bouillonner. C'est après mon départ qu'ils allaient arriver aux résultats qu'ils recherchaient. Aux « Concerts de midi », ils étaient concurrencés par l’« Orchestre de chambre de Wallonie ». La Ville de Liège avait décidé de subventionner cet ensemble, ce qui l'autorisait à l'utiliser trois fois par an sans bourse délier. La Ville n'organisant pas de concerts, elle chargea les « Concerts de midi » de l'employer. Les réussites de ce groupe sont venues de la diffusion d'œuvres modernes (Stehmann, Legley, Ysaye), d'une structure musicale assez large, et parfois, d'initiatives heureuses. Je me souviens d'un très joli concert où l'on chanta un Intermezzo de Cimarosa suivi de la Symphonie « Les Adieux » de Haydn. Toute une mise en scène, pour laquelle Lola Bobesco était adroite, a accentué la joliesse du spectacle. Plus tard, Hirshhorn dirigea l'ensemble avec une grande maîtrise et, il essaya d'en diversifier le répertoire. Je me souviens d'une magnifique Symphonie concertante (violon-alto) de Stamitz et du petit poème Exil d'Ysaye qu'il mena vers les sommets. J'ai tiré les plus grandes satisfactions de notre expérience avec les artistes (les Springuel, les Gilissen, Baert, Rubenstein, Vanden Eynden) qui composaient l’« Ensemble instrumental Brahms ». Pendant plusieurs années, ils ont fait un travail admirable, d'un niveau professionnel rarement atteint. Je me souviens du Premier Sextuor de Brahms et surtout d'un extraordinaire mouvement lent du Quintette en ut de Schubert. Je n'ai jamais retrouvé, sur aucun enregistrement le sentiment intense et émouvant de leur interprétation. A chaque saison, il y eut ainsi des moments où l'on pouvait se rendre compte que l'on vivait avec la musique ancienne, classique, romantique ou moderne que l'on jouait devant vous. Il y a eu une participation du public et des silences qui ne trompaient pas. Bien sûr, on a reproché le caractère « élitiste » de mes programmes, leur complexité. J'ai soutenu avec le ministère des controverses ardues parce que quelques-unes de mes saisons étaient presque exclusivement occupées par des artistes étrangers. Simplement, c'était les meilleurs. Le temps, lui, fuyait. Dix, vingt, bientôt trente ans que je me consacrais à cette affaire. Elle me prenait du temps, me causait des soucis et j'avais beaucoup de travail et ne dormais pas toujours bien la nuit du mercredi au jeudi. Des auditeurs m'avaient demandé de les éclairer sur les programmes et les artistes. Les émissions de la radio sur ce sujet leur paraissaient insuffisantes. J'ai essayé de les satisfaire, d'abord par quelques lignes dans les programmes et puis, peu à peu, je me suis pris au jeu. Ma spécialité ne me porte pas à parler sur la musique. Je ne suis ni critique, ni commentateur musical. J'ai lu très peu de livres sur la musique et j'en possède encore moins. Je me suis demandé ce que le public attendait de moi et j'ai imaginé une méthode qui consistait à inviter ceux qui me lisaient à ouvrir leurs oreilles pour percevoir dans l'œuvre ce qu'on n'y entend pas généralement. Tous les dimanches matins, les partitions à la main gauche, le papier blanc à la main droite, je me suis posé la question « Qu'est-ce qu'ils peuvent bien entendre là-dedans ? ». J'ai essayé d'y répondre en me mettant à la place des gens et mes petits papiers sont devenus, à la longue, des feuilletons. Ils n'ont rien d'exemplaire ni par leur présentation ni peut-être par leur style. J'ai tout simplement essayé de faire comprendre qu'on écoute la musique en ouvrant ses oreilles et que les livres sont inutiles. Il ne sert à rien, sinon pour faire le pédant, de lire des dizaines d'études savantes sur le contrepoint dans les quatuors de Beethoven si on n'est pas capable d'en suivre les détours par soi-même, par ses oreilles. VERS DE NOUVEAUX HORIZONS J'essayai donc de choisir le moment de mon départ. Plusieurs circonstances m'ouvrirent une issue. D'abord, on perdait l'Emulation qui fermait ses portes. Pendant près de vingt ans, j'avais réussi, à travers mille difficultés, à y faire de la musique. Ensuite, j'étais de plus en plus sollicité par mon métier de bibliothécaire : congrès, colloques, offres des éditeurs. Enfin, il y avait, à côté de moi, parmi mes collaborateurs à la bibliothèque du Conservatoire, un « jeune » sorti de notre Université. Il me voyait travailler aux « Concerts de midi ». Peu à peu, il devint un collaborateur et le programme de ma dernière saison, 1986-1987 est né de nos choix. Le conseil d'administration fit de Philippe Gilson mon successeur. Je dois ajouter aussi que par goût et par tempérament, je n'ai jamais été celui qui s'attardait. De plus, j'étais au seuil de la retraite. Je m'en allais avec regrets mais libre et soulagé d'un grand poids. PHILPPE GILSON Philippe Gilson a eu le mérite de ne pas essayer de m'imiter et de ne pas vouloir refaire ce que j'avais fait. Depuis plusieurs années, il réussit ce que j'espère avoir réussi avant lui : promouvoir, saison par saison, la mission artistique des « Concerts de midi ». Personne ne sait que chaque saison représente une gageure, un défi, une lutte engagée et qu'on n'est jamais sûr de gagner. Les « Concerts de midi » ont toujours été, par leur nature même, une entreprise périlleuse. La musique est chose fragile, le musicien un être insaisissable, l'œuvre une matière à laquelle il faut donner vie. Tout cela engage celui qui essaie de nouer les fils de ces choses complexes au-delà de ce qu'on peut imaginer. Ainsi Philippe Gilson a-t-il construit ces dix dernières saisons selon deux clefs de lecture principales : les intégrales intra-saisonnières et les intégrales trans-saisonnières comme il les définit régulièrement dans les éditoriaux de ses programmes généraux. À la première catégorie appartiennent les Quatre Symphonies de Brahms données en version piano à quatre mains en quatre jeudis consécutifs par le regretté « Duo Patrick et Taeko Crommelynck », ou l'intégrale des Trios à clavier de Brahms par le « Trio Amati », les Six Quatuors de Grétry par le « Quatuor Haydn », l'intégrale des œuvres pour vent et piano de Francis Poulenc par les solistes de l'OPL accompagnés par Pascal Sigrist, pour ne prendre que quelques exemples marquant. À la seconde appartiennent, entre autre, l'exploration de l'univers beethovénien qui a déjà vu se succéder les intégrales des Trios à clavier (par le « Trio à clavier de Belgique »), celle des Sonates pour violon et piano (par Adam Korniszewski et Diane Andersen), des Sonates pour violoncelle et piano (par Luc Dewez et Luc Devos), des Quatuors à cordes (donnés en 3 saisons par le « Quatuor Haydn ») et enfin l'intégrale des Sonates pour piano seul confiée à Olivier De Spiegeleir et qui devrait se terminer durant la saison 2000-2001. Enfin, une saison remarquable fut la saison commémorant le centenaire de la disparition de César Franck (1990-1991) qui nous permit d'entendre (outre deux œuvres majeures du maître, le Quatuor et le Quintette, données exceptionnellement en deux jours consécutifs) des œuvres rarement jouées sinon "inouïes" de toute l'école franckiste (Adolphe Biarent, Alexis de Castillon, Ernest Chausson, Guillaume Lekeu, Paul de Wailly -et sa très belle Première Sonate pour violon et piano, que Ginette Decuyper et Daniel Blumenthal eurent l'immense mérite de travailler spécialement pour notre plus grand bonheur -Sylvio Lazzari, Victor Vreuls et bien d'autres encore...). Dans le même esprit, un peu plus tard, il parvenait à programmer avec Benjamin Rawitz la redoutable Sonate pour piano de Paul Dukas et avec des artistes qui souffrirent pour avoir sous-estimé l'ampleur de la tâche sans toutefois s'y soustraire le monumental Quintette à clavier de Florent Schmitt. La musique baroque n'a pas été oubliée : au clavecin, Anne Froidebise, Pierre Hantaï et Guy Penson ; au virginal, Jean Ferrard ; au luth, Stephen Stubbs ; aux violes, Philippe Pierlot et Sophie Watillon. Enfin Philippe Gilson tente de réanimer le patrimoine liégeois en programmant régulièrement des œuvres de Désiré Pâque, Georges Antoine ou encore l'intégrale des Quatuors à cordes de Jean Rogister. LA SALLE ACADÉMIQUE Dès son arrivée, Philippe Gilson fut confronté à l'insécurité matérielle due à la crise financière aiguë dans laquelle venait d'entrer la Ville de Liège. Il se voyait obliger de gérer un budget froidement amputé de moitié. Par bonheur, de nouveaux et fidèles partenaires compensèrent rapidement ce manque de moyens. C'est ainsi que le « Service des Affaires culturelles de la Province de Liège » et le « Crédit Communal de Belgique » devinrent de fidèles soutiens de notre aventure. Les saisons purent retrouver petit à petit leur nombre habituel d'une bonne vingtaine de concerts. Il fallait, de surcroît, remplacer un piano atteint par la limite d'âge et trouver sur nos fonds propres de quoi financer une dépense considérable. Ce fut chose faite quand en octobre 1988, Daniel Blumenthal démontra les qualités d'un piano Fazioli flambant neuf au cours d'un récital qui, en présence de S.A.R. la princesse Paola, inaugurait notre quarantième saison. L’installation dans la Salle académique a permis à Philippe Gilson de resserrer les liens avec l'Université. C'est ainsi que les étudiants de licence en musicologie des professeurs Anne-Marie Mathy puis Philippe Vendrix furent associés à la vie des concerts par la rédaction de certains programmes. Le public a bien admis de changer ses habitudes en traversant la place du 20-Août, s'est fidélisé à nouveau et a crû régulièrement d'année en année. Ceci suscita une expérience qui devait tourner court : les « Midis-Printemps », série de quatre ou cinq concerts programmés après les vacances de Pâques et confiée à divers ensembles de chambre émanant de l’« Orchestre Philharmonique de Liège » (Ndlr : sous la responsabilité de Bernard Pierreuse). Le public trop clairsemé fit que ces concerts de printemps disparurent au bout de deux saisons. Mais à toute chose malheur est bon. Les quatre concerts confiés à l'OPL ont été intégrés dans la saison d'hiver avec le précieux avantage de présenter des ensembles au profil très variable et donc difficiles à réunir dans un autre contexte (dixtuor à vent, petits ensembles de cordes, etc.). Depuis trois saisons, Philippe Gilson invite au « concert de Noël » des ensembles vocaux formés de solistes du chant de l’« Opéra royal de Wallonie ». Depuis deux saisons, c'est par un concert coproduit avec le renaissant « Festival des Nuits de Septembre » que démarrent les concerts. Quand enfin nous aurons dit que plusieurs concerts ont produit des artistes en tournée pour les « Jeunesses musicales » (les remarquables ensembles de jeunes talents réunis dans le quintette à vent « Ma'alott », le quatuor de jeunes filles russes « Viesna », l'attachant groupe anglais « The Dufay Collective » ou encore l’« Ensemble Opera » qui produisit l'opéra Bastien et Bastienne de W-A. Mozart) nous aurons montré que les « Concerts de midi » sont parvenus à tisser avec toutes les institutions musicales liégeoises de fructueuses collaborations. CODA Philippe Gilson réussit très bien dans son entreprise. Il aime les cycles, je ne les aimais pas. Il cherche des artistes jeunes, nouveaux, et je n'y tenais pas beaucoup, me fiant à ceux dont j'étais sûr. Il se lance dans plusieurs directions alors que je me tenais à une idée. Je n'ai jamais cru, pour mon compte, que les « Concerts de midi » feraient une si longue carrière. On m'annonçait leur fin à mon arrivée. Vingt-huit ans plus tard, au moment de m'en aller, ils étaient toujours là. Alors, mille concerts, c'est bien sans doute mais c'est surtout un pari sur l'avenir. Bref apperçu des Concerts de Midi de la ville de Liège L’origine des “Concerts de Midi” est directement liée à des circonstances nées de la Seconde Guerre mondiale.Tout le monde sait que les Allemands avaient entamé, dès août 1940, une puissante offensive aérienne contre l’Angleterre, et Londres en particulier. Ces attaques se faisaient de jour et entraînaient des pertes à ce point considérables dans leurs rangs que les Allemands ont revu leur programme. De jour, les attaques devinrent de nuit. Le soir, les Londoniens étaient donc bouclés chez eux: plus de cinémas, de spectacles, de concerts. C’est alors que beaucoup d’artistes réagirent et proposèrent de faire des concerts à midi. Revenu en Belgique, le violoniste belge Maurice Raskin parla de son expérience londonienne à son ministère et, surtout, à un fonctionnaire qui a laissé des souvenirs durables auprès des musiciens, Sara Huysmans. C’est à elle que l’on doit la création des “Concerts de Midi” en Belgique. A Liège, les “Concerts de Midi” ont commencé le mercredi 5 octobre 1949. La première saison a compté 31 concerts et c’est Louis Poulet (1912-1980) qui sera l’organisateur des dix premières saisons. Il reçut par l’intermédiaire de l’Echevin des Beaux-Arts de l’époque une aide financière de la Ville de Liège, et la disposition d’une salle, qui fut la salle dite “des plâtres” de l’Académie des Beaux-Arts, occupée alors par le Musée qui portait le même nom. L’objectif était d’offrir chaque semaine, à “l’heure de table”, un programme de qualité à un public - étudiants, employés - qui pour des raisons diverses, avant tout matérielles, ne prenait pas d’ordinaire le chemin des grands concerts du soir ou celui des musées. En dépit d’un accès incommode, les concerts connurent d’emblée un très vif succès, qui ne faiblit pas au cours des saisons suivantes et qui perdurera jusqu’à aujourd’hui. Fin de l’année 1959 et au lendemain des grèves de 1960, Louis Poulet présenta à la Ville de Liège sa démission. Dès lors, ce fut Maurice Barthélémy qui reprit la direction artistique des Concerts. Une refonte totale des objectifs fut envisagée avec le concours de Sara Huysmans. Des collaborations diverses allaient naître et la radio reprit en différé tous les concerts. A la vue de la salle de concerts, le nouveau directeur modifia la logistique en obtenant un agrandissement de la scène, l’achat d’un nouveau piano ainsi que de pupitres et de petit matériel. Malgré cela, M. Barthélémy était décidé à quitter le musée. Outre le fait que l’Académie désirait récupérer sa salle, la contenance de celle-ci (650 places) était trop grande pour le nombre d’auditeurs participants chaque jeudi. Finalement, le choix se porta sur la salle de la Société libre d’Emulation située place du Vingt-Août, juste en face de l’Université. A partir de 1970, les “Concerts de Midi” devinrent une a.s.b.l. de statut légal, ce qui permit au directeur de se démarquer des instances et de gérer un budget. Pendant près de vingt ans, Maurice Barthélémy s’attacha à donner des concerts en la salle de l’Emulation jusqu’à ce qu’il soit décidé de fermer ses portes en 1986. Dès la saison 1986-1987, un collaborateur s’ajouta à la direction artistique. Ce fut Philippe Gilson, lequel reprit la direction des Concerts de Midi à partir de la saison 1987-1988. Confronté à l’insécurité matérielle due à la crise financière aiguë dans laquelle venait d’entrer la Ville de Liège, il fallut trouver d’autres subsides financiers. La Province de Liège et le Crédit communal de Belgique (maintenant Belfius) devinrent de fidèles soutiens. L’heure était aussi venue de changer de piano. En octobre 1988, Daniel Blumenthal démontra les qualités d’un piano Fazioli au cours d’un récital donné en présence de S.A.R. la princesse Paola... Désormais accueilli dans la Salle académique de l’Université de Liège, le public dût changer ses habitudes en traversant la place du Vingt-Août. Toutefois, la réfection de cette salle obligea les "Concerts de Midi" à émigrer à nouveau. D’abord ce fut le Théâtre royal universitaire qui durant deux ans hébergea les “Concerts”. Malheureusement, l’acoustique ne se prêtait guère à la musique de chambre et une nouvelle errance était à envisager. Ce fut alors la salle située au deuxième sous-sol du Coeur Saint-Lambert qui servit de lieu de concert. Le 5 décembre 2002, le conseil d’administration de l’a.s.b.l. approuva l’achat d’un nouveau piano Fazioli 228 de grande qualité.